AVRIL 2ème partie

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AVRIL 2012

 

De Saint Benoit (labre) à saint Robert

 

Chronique perturbée

 

 

Chacun le sait, le temps n’est plus ce qu’il était. Presque deux mètres de neige au Sancy, un 25 avril ! Le narcisse rentre sous terre, le crocus renonce à toute sortie, le vieil Auvergnat se recroqueville sous la couette,  qu’il a duveteuse ; il remet à plus tard le bain qu’il prenait traditionnellement au printemps, il rajoute une chemise de corps à sa flanelle et se rencarde dans son cantou. Sa femme, emmitouflée dans ses châles, se remet à ses quatre aiguilles et lui tricote une autre paire de chaussettes, avec la laine du vieux pull à rayures rouges et vertes qu’elle vient de défaire. Le chat rêve de savanes et de soleil et de miaou.

Quel temps fera-t-il demain ? On se le demande sans conviction, par pure courtoisie, histoire de parler, car on connait la réponse, le bulletin de la télé nous l’a donnée : perturbation, perturbations. Comment connaitrions-nous le temps sans la télé ? L’Auvergnat s’interroge alors qu’il regarde et écoute la canolle s’égoutter devant la porte. Sans bulletin météo, l’Homme, l’Humanité s’éteindrait et sans doute la femme aussi, bien qu’elle semble plus résistante aux variations climatiques. (Ce sont surtout les hommes qui se rafraichissent d’un apéro anisé aux terrasses des cafés). Il sortirait tête nue en plein cagnard, il négligerait d’emporter un parapluie et subirait averses et giboulées, rhumes et refroidissements. Il fondrait, il disparaitrait comme sucre dans café, par capillarité. Nous n’aurions plus que des flaques d’homme dont il ne resterait que de vagues irisations graisseuses en surface.

Comment faisions-nous avant la télé et la radio ? D’aucuns s’en souviennent encore. Ils regardent au loin le Puy de Dôme, le Phare de Cordouan, le Mont Rose, que sais-je, la Tour Effel, le Belchen, et selon qu’on leur voit un chapeau de brume, une écharpe, une cravate, en déduisent la pluie ou le soleil du lendemain.  D’autres savent encore écouter, le soir en se soulageant dans la haie du couderc. Ils en reviennent rassurés, ils ont entendu les cloches de Chamboulive ou d’Eyburie, elles leur disent bien des choses sur la direction du vent. Il y a  ceux qui se fiaient aux animaux, le chat qui se gratte derrière les oreilles, les poules qui s’agitent, les hirondelles du soir qui font du rase mottes au-dessus des prés, le chameau qui déblatère, aussi la concierge… Pour d’autres enfin, ce sont les dictons, un pour chaque jour ou presque, chaque saint avait le sien : « Au jour de sainte Gudule, le jour croît mais le froid recule. » (Gudule a la rime riche et souvent malicieuse, disons grivoise). « A la Saint Vincent, tout dégèle ou tout fend », « Mai sans roses rend l’âme morose », (nous en reparlerons !) « Au matin, femme renfrognée, grand froid toute la journée. » Ou encore : « A la sainte Gisèle, prends garde s’il gèle ».

 

Qu’il pleuve ou qu’il vente, on prépare le deuxième tour et on sonde en tous sens. On ressort les vieilles vannes, « pour qui votait-on ? » Mais le sondeur est quelqu’un de sérieux et ses résultats alimentent les débats télévisés. Pour qui ont voté les vieux du premier âge, les petits vieux, les vieux-vieux, les entre-deux vieux, les ramollis, les croulants, les grabataires, ceux qui sont vieux et cathos, les cathos jeunes, ou plus ou moins, les défroqués, les gros paysans, les vieux et les jeunes, les petits paysans, les jeunes et les vieux. Ceux qui se désistent, ceux qui se défilent, ceux du premier tour. Enfin un jour de pause et de pose à la veille du scrutin, dans un silence assourdissant, où les médias ne sauront brusquement que dire et meubleront le silence avec des émissions culturelles, brusquement déplacées de la nuit aux heures de grande écoute.

Les prétendants sont également auscultés, symétriquement. On les a interrogés longuement sur le sport. L’un a paru plutôt sport d’équipe, foot, l’autre, grimpeur de cols, avec tifosis. Rien sur la course de fond, le saut de haies, le parcours d’obstacles, les traversées de désert, la pêche au gros, la course avec handicap, la plongée en apnée, les placages, les jeux de main, le dopage et la troisième mi-temps.

Mais l’on ne saura pas qui préfère Rousseau à Voltaire. On ne saura pas ce qu’ils pensent de Montaigne, du Neveu de Rameau, de Mon Oncle Benjamin, des sœurs Brontë, du Fils prodigue, de la Mère de Gorki, de la Peste, de Jean l’Anselme[1], aussi de Don Quichotte, des Trois Petits Cochons, de Moby Dick et des Instructions aux domestiques de Swift[2], s’ils connaissent Le Petit Prince, Le Petit Chose, la Petite Fadette… et tant d’autres choses dont nous ne saurons rien.

Peut-être échapperons-nous à un combat de coqs, au pire à un pugilat ou à un affrontement de cour de récréation. Et peut-être alors la démocratie gagnera quelque crédibilité.

 

Pendant ce temps, les enfants du Sahel continueront de mourir de malnutrition. Eric Orsenna en a parlé, on l’a écouté parce que c’était lui, trois minutes à la télé et puis on est passé à autre chose. Et les enfants du Sahel ont continué de mourir de malnutrition.

Non loin de là, en Afrique du Sud, on peut louer des employés qui officient entièrement dévêtus. C’est une grande économie de vêtements de travail. On peut ainsi « vêtu » assurer l’entretien ménager, la plomberie (tout nu dans la cabine de douche !), la réparation informatique (mais où mettre la souris ?), le jardinage (avec des gants, pour tailler les rosiers), le nettoyage des piscines, le ramonage, sans doute. L’entrepreneur qui a eu cette initiative qui fait honneur à son inventivité a précisé qu’il n’envisageait pas d’embaucher des enseignants selon le même principe. « Il faut bien mettre une limite quelque part » a-t-il dit. On le comprend.

 L’Auvergnat se gausse, lui qui a vu les mineurs de Saint-Eloi-les-Mines travailler au fond, en caleçon, tant l’atmosphère était surchauffée dans ces galeries mal ventilées.

On n’arrête pas le progrès. Et on vient d’inventer la canne qui tient toute seule debout.

 

Pendant ce temps, les enfants du Sahel meurent de malnutrition.

 



[1]  Et pourtant il gagne à être connu !

[2]  Non, ce n’est pas un modèle d’automobile.

Publié dans Chroniques

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