CHRONIQUE 45

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CHRONIQUES  2009

 

 QUARANTE – CINQUIEME  SEMAINE

 

Typologie des murs. Du bon usage du pied du mur et du temps à perdre. De la sagesse populaire. Le jean centenaire. Grandeur consécutive d'Allah

 

Vingtième anniversaire de la chute du Mur. Depuis la plus haute antiquité l'Homme fait le mur, des murs. C'est une obsession. Il construit des murs avec tout ce qui lui tombe sous la main, il dépense , dans cette activité, une énergie, une imagination, une ingéniosité sans pareilles. Des murs de terre et de sueur, de brique crue, de brique cuite, de bois, d'acier, de béton, de pierres taillées, de pierres sèches, de végétation, d'incompréhension, de clôture électrique et de barbelés, de mépris, de honte, de cadavres même. Des murs pour empêcher d'entrer, des murs pour empêcher de sortir. Des murs pour que votre voisin ne vous voit pas en train de l'observer[1]. Le voisin, c’est l’ennemi. Des murs percés de meurtrières, couronnés de tessons de bouteilles. Chaque civilisation a les siens et toutes ont essayé de contenir les barbares. Certains sont du pain béni pour les agences de voyage et les touristes, murs celtes, murs romains, Hadrien et Antonin, grande muraille de Chine. Des murs  qui se regardent en chiens de faïence, la ligne Maginot et la ligne Siegfried, où des jeunes gens  pleins d'espoir et de vie, voulaient étendre leur linge. Et le Mur des Fédérés, tout un symbole. Des murs honteux d'eux-mêmes, briseurs d'espoir, comme le mur barrière entre les USA et le Mexique  et celui construit par Israël. Et le mur de Berlin, entre l'Est et l'Ouest, fruit des divagations insensées de dirigeants qui avaient pu croire qu'une barrière, aussi sophistiquée soit-elle, pourrait arrêter la propagation d'idées de liberté et d'émancipation, et cacher la vérité[2].

C'était un mur Nord-sud, en gros. Préférons-lui le mur Est-Ouest et installons-nous sur la face sud. Le mur peut être en pierres, sèches, mais le torchis est aussi confortable. C'est le lieu idéal pour réchauffer vos vieux os, avec à vos pieds le village qui somnole, ou la prairie  qui ronronne de plaisir au soleil. Le lézard des murailles viendra vous tenir compagnie pour peu que vous l'apprivoisiez par votre silence et votre immobilité. Si les trompettes de Jéricho[3] ne viennent pas intempestivement vous sortir brutalement de votre béatitude, vous pourrez attendre paisiblement les premières brumes du soir avant de vous replonger, à regret,  dans le bruit et la fureur du monde civilisé.

 A défaut, utilisez le mur de mechta. Le pisé exposé plein sud est un  efficace accumulateur de chaleur. Enveloppé dans votre gandoura mi poil de chèvre, mi grossière laine de mouton, laissez-vous pénétrer de la chaleur qui monte avec le soleil, oubliez quelque temps cette guerre qu'on vous impose. Des vieux du village viendront vous tenir compagnie. Ils vous appelleront  cheikh parce que vous savez lire et écrire,  régnez débonnairement sur leurs enfants et rendez quelques menus services administratifs. Dans leur français pittoresque, ils évoqueront leur jeunesse à Boulogne-Billancourt, chez Renault ou dans l'Est, chez Pigeot. Ils vous offriront leur kawa et vous vous souvenez encore de cette mixture indéfinissable sur laquelle flottaient des irisations suspectes. Mais vous étiez, un matin de printemps, au soleil, devant les cimes enneigées du Djurdjura, au-dessus de la mer de nuages qui s'élevait de la Soumman, de la vallée de Mansourah et des Portes de fer …

Le mazot est aussi confortable. L'après-midi d'automne, le bois se gorge de soleil et dans votre dos, vous le sentez et l'entendez s'étirer de plaisir. Profitez des derniers colchiques, déjà pâlis sur la pente. La neige est tombée à 1800m, cette nuit.

A noter que le morceau de mur se vend bien. Au pied du mur, il ne faut pas jeter la pierre, il faut la vendre, le mur de Berlin, aussi bien qu'en son temps la Bastille. Une façon d'apporter sa pierre au moulin. Si pierre qui roule ne fait pas le moine, elle peut amasser un joli pactole.

 

Notre gouvernement s'intéresse à la jeunesse. Après les EMS de l'Education nationale, on envisage le couvre-feu pour les moins de treize ans délinquants. Enfermez bien vos enfants le soir, la nuit tombée[4]. Installez- les, devant la télé  avec provisions de cacahouètes et de sucreries. Lorsque vous entendrez passer la patrouille, vous serez rassurés. Sous la lumière des réverbères, comment distinguer un gamin délinquant d'un innocent bambin ? Avec la nouvelle mesure, la réponse est simple ; à la nuit tombée, seuls les repris de justice sont dehors.  Il n'empêche, certains, qui ont connu l'occupation, ont encore un mauvais souvenir du couvre-feu et du bruit de bottes de la patrouille et de l'angoisse qui vous prenait quand elle ralentissait et s'arrêtait devant la porte. Ils se souviennent des coups de sifflets, lorsqu'une fenêtre ou un volet laissait passer un rai de lumière.

 

Claude Lévi-Strauss est décédé. Une question se pose, chez qui nos académiciens vont-ils maintenant acheter leurs jeans ?

 

Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

 



[1]    Cette pub ancienne, où un paysan regardait par-dessus le mur  les poules du voisin crever, alors que les siennes, soignées à la Volacrine, s'ébattaient en pleine forme dans son poulailler !

[2]    « 0n ne fait jamais une société à partir d'un système. Une société quelconque est d'abord faite de son passé, de ses mœurs, de ses usages : ensemble de facteurs irrationnels contre quoi les idées théoriques s'acharnent. » Claude Lévi-Strauss.

[3]    D'après la Bible, Livre de Josué, sept trompettes, tournant sept fois pendant sept jours autour des murailles de Jéricho les firent s'effondrer. Avec l'aide de Dieu, la sono était déjà efficace.

[4]    Et surveillez- les, ils pourraient faire le mur.

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<br /> Quel régal de lire ces chroniques ! Vivement la prochaine !J'ai beaucoup aimé celle de la 45ème semaine. BRAVO !<br /> <br /> <br />
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