MAI 2012 1ère partie

Publié le

 

 

 

MAI  2012

 

Du premier au quinze

 

Chronique persane

 

 

  Rica à Ibben, à Smyrne.

 

 

Nous sommes à Paris depuis un mois, Usbek et moi, et nous avons toujours été dans un mouvement perpétuel. C’est qu’il se fait en ce moment dans le pays de France un grand remuement qui met en branle  et en grande agitation tout le peuple et ses représentants, depuis les plus reculés villages des provinces les plus lointaines jusqu’aux villes capitales  de ces provinces et la capitale elle-même.

Tu sais, Ibben, que ce pays a remplacé son Roi, depuis quelques lustres déjà, par un Président. Auparavant, au décès du Roi, le fils accédait au trône, à défaut le petit-fils, ou quelque frère ou neveu. Toujours un mâle, puisque, ici comme chez nous, les femmes sont d’une création inférieure à la nôtre.  L’affaire se réglait en famille. Maintenant le Président est choisi par ses sujets, tous ses sujets, dès lors qu’ils ont un soupçon de barbe au menton, et toutes ses sujettes, dès leur  majorité. (Une fille est majeure dès lors qu’elle n’est plus mineure). Nous avons cru comprendre que ce Président ne peut pas transmettre sa charge à son fils, quelque envie qu’il en ait. Après cinq années de pouvoir, on appelle le peuple de France à choisir son successeur. Quelles complications, quelles péripéties, quels flots de paroles, quels commentaires et commentaires de commentaires ! Quels meetings – ils arrivent d’Angleterre, comme la démocratie parlementaire - où s’agitent drapeaux, fanions, bannières, que de tribuns qui tribunent ! Quels slogans repris en chœur par des foules assemblées à grands renforts de transports spécialement affrétés à cet effet !  Les gazetiers ne savent où donner de la plume, on tweete les bons mots, les mauvais, on détourne, on caricature, on plagie, on répand de fausses informations, on dément, on s’écharpe. Quelque projet émerge de-ci delà, aussitôt démoli, contrefait, dénoncé. Les lucarnes qui permettent de voir le monde extérieur sont obstruées par des débats par lesquels les spectateurs sont sensés se faire leur jugement. Et lorsque les opinions sont bien enflammées, se déroulent enfin d’étranges cérémonies et se  font de grands rassemblements dans les écoles et les mairies. Un grand transport de Français qui, à la queue leu leu, en silence et à l’insu des regards, déposent dans une urne, cérémonieusement, le morceau de papier qui a leur préférence.

Il sort un nom de ce chapeau. Il mécontente une petite moitié des votants. L’autre grande moitié se congratule. L’espoir des uns fait le désespoir des autres. Spectacle étonnant que de voir d’oiseau, par la petite lucarne, une modeste  bourgade provinciale en liesse, à la lumière des lampions !

 

C’est déjà l’été au  jardin élyséen où les roses exultent. Je m’éveille le matin avec une joie secrète ; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Paris est une bien agréable ville en ces jours. Les belles y ont la folie en tête et les amoureux du soleil au cœur. Les filles en fleurs, les mineures mêmes, jouent leur partition en mode majeur et les femmes se dévoilent, se dénudent même, à en damner un ayatollah.

 

Je te le dis, Ibben, les roses d’Ispahan sont plus belles à Paris

   

De Paris, le 21 de la lune de Djumada I-Akhira 1433

 

 

N.B. : souviens-toi : « Le sage règle son pas sur celui du chameau. »

Un lecteur averti trouvera du Montesquieu pur jus dans ce texte, mais où ?

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