CHRONIQUE 46-10

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CHRONIQUES 2010

 

 

QUARANTE-SIXEME SEMAINE

 

 

 

Le conte de la roturière et du dauphin. Du Diable et de l’Homme. De la gastronomie. De la modernité des Temps anciens.

 

 

 

« Il était une fois … ». Les enfants du village sont rassemblés devant la cheminée, bien emmitouflés encore dans leurs pèlerines qui vont sécher doucement, c’est que novembre est là avec ses pluies humides et ses vents coulis. Ils ont accroché bérets et fichus au clou, derrière la porte. La grand’mère, la Grande, s’est installée dans le cantou, avec les petitous à ses côtés, bien serrés contre elle, bonnes gens. Les grands ont tiré le banc au plus près pour ne rien perdre de cette chaleur du foyer qui leur sait bon, si bravounets ils sont qu’ils ont à pensé à apporter quelques bûches. Ce soir, la vieille va raconter le conte de la roturière et du dauphin. « Il était une fois, je vous parle de vieux, une pauvre roturière … » et il lui faut leur expliquer la roture, mais ils comprennent vite, ce sont eux et leurs ancêtres les roturiers « un jour qu’elle lavait le linge à la rivière elle perdit une bague que son père avait achetée pour elle à la foire, « dans la sciure ». Elle en fut désespérée, c’était son seul souvenir de ce père bien aimé. Et la pauvrette pleurait, pleurait … C’est alors qu’un grand remuement se fit dans l’eau. Et un dauphin apparut qui s’enquit de ces pleurs. Emu de cette détresse, il plongea au fond du gour, plongea et replongea, en vain, et le cœur de la petite se serrait quand il restait si longtemps sans revenir à la surface. Au soir tombé, il n’avait rien trouvé, il était si contrit qu’elle caressa  tendrement  son museau. Il en frétilla d’aise et promit de revenir le lendemain, à la tombée du jour. Et cette journée du lendemain qu’elle fut bien longue à la petite. Viendrait-il, ne l’aurait-il pas oubliée, avec toutes ces sirènes qui sont tant gentes et qui chantent si bien, comme elle l’avait écouté dire ? Elle avait mis sa plus belle devantière, et la moins pétassée, et ses gounelles du dimanche. Il vint et ils se parlèrent. Il était toute douceur et toute intelligence. Il la trouvait si vive, si belle, si gente, si bonne. Il revint, et il revint. Ils avaient leur heure et leur lieu de rendez-vous, chaque jour. Et ils ne se lassaient pas de se revoir. Mais un soir elle ne le vit pas, et puis un autre et d’autres encore. Au début elle ne s’en inquiéta pas trop, les dauphins ont tant d’occupations, tant de besognes ! Puis elle s’alarma vraiment et se mit à dépérir d’inquiétude et de chagrin. Elle qui était tant gourmande ne touchait même pas au millar de cerises cuit avec le pain, dans le four, ni aux soupes dorées, ni à la pompe aux pommes. « Mange que » lui disait sa mère, mais elle, elle n’avait goût à rien, tout lui faisait regret. Un jour qu’au bord de nuit elle promenait son désespoir, elle vit trembler l’eau du gour. Son cœur s’affola. C’était lui, lui son dauphin qui lui revenait. Et qu’ils se bésuquèrent, et qu’ils se poutounèrent ! » - « Besogne que le feu  dit la vieille au plus grand des garçons – « ça va le reviouquer ».

 

Mais c’est qu’elle nous ferait passer l’hiver, la Grande, à écouter son ramage, et on n’a pas que ça à faire ! Et puis n’est pas Henri Pourrat qui veut.

Finissons-en. Le dauphin apportait à sa belle la bague de fiançailles que son roi de père avait offerte à sa princesse de mère, qui veillait sur lui, là haut. Elle lui allait comme un gant. Donc ils firent venir les photographes. Le dauphin était devenu un beau jeune homme, de bonne façon, il tenait de sa mère. Et la belle y avait tant fait ! Et la populace vit de belles images, dans Paris Match, et on constata qu’elle pouvait parfaitement devenir leur reine un jour, au vu de l’extravagante élégance de ses chapeaux. Les sujets du Roi, les Grands-Bretons, oublièrent fort opportunément les augmentations, les diminutions, les tours de vis qu’on leur préparait, à la thatchérienne et les novis roucoulèrent. Que souhaiter à la belle, qu’elle évite les tunnels et qu’elle se méfie des vieilles peaux qui tournicoteraient autour de son prince.

Voici une belle histoire que notre Henri Pourrat aurait aimée. Il aurait introduit sans doute le Diable, toujours présent dans ses contes, souvent sous l’apparence du propriétaire des terres. Le Malin, qui ne l’est pas autant qu’on le pense, qui se fait si souvent berner par le métayer, et surtout par la femme.

 

Le temps des contes est révolu, mais le Diable est toujours là. Regardons autour de nous. Les chroniques  pourraient ne parler que de lui, la peste, la rougeole, les cancers, les assassinats de gamins, les lapidations, les massacres des hommes, des bêtes, (vous avez vu ces poulets et ces poules agonisantes), des arbres. Et ces enfants esclaves trimant dans les mines, et ces enfants soldats. Et ces pauvres qui volent aux pauvres, pillent et saccagent les dépôts du Secours populaire. Et tous ceux qui vivent de peine, encore plus que de pain ! Le Diable, ou l’Homme ? « … il n’y a point de beste au monde tant à craindre à l’homme que l’homme. »

Mais qui lit Pourrat, qui lit Montaigne ? Il est si loin le temps où un Président de la République française posait pour la photo officielle un exemplaire des Essais à la main.

 

« Le repas gastronomique français » vient enfin d’être inscrit au patrimoine culturel immatériel mondial de l’Humanité, comme élément emblématique de notre culture nationale. Le « bien manger » et « le bien boire » à la française sont distingués. Cocorico chantent le maître coq et le coq au vin. Nous avions la démocratie, l’égalité, la fraternité, l’école laïque et républicaine, la philosophie des Lumières et Alexandre Vialatte. Voilà la gastronomie française reconnue. « Les Français ne mangent pas comme les autres », nous allons pouvoir donner des leçons au monde entier. Quand vous pensez que les Américains placent leur fourchette, certes à gauche de l’assiette comme nous, mais les piques vers le haut, et que les Chinois servent tous les plats en même temps ! Quels sauvages !

Revenons à Montaigne. Dans son Journal de voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne, il regrette de n’avoir pas emmené son cuisinier car il aurait pu s’instruire auprès des maîtres queue locaux, et en Allemagne, il boit son vin « à l’allemande », pur.

C’était dans des Temps modernes.  

 

On dit aussi « djintintin », en ce temps là, dans un certain coin d’Auvergne.

En fait du hameau. Le hameau c’est le village et le village, c’est le bourg.

Il est l’été des ondées rafraichissantes qui sèchent comme instantanément, laissant seulement quelques empreintes de grosses gouttes dans la poussière du chemin.

« Le roturier, accablé de tâches et de corvées était harcelé sans relâche tantôt par les percepteurs du roi, tantôt par ceux du seigneur et du clergé »P-J Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? 1840

On est dans un conte, et un rostre dans nos campagnes ….

Pléonasme, le millar n’est fait que des cerises, les petites noires, non dénoyautées évidemment.

Il faut suivre, ce n’est pas du Houellebecq.

Le Bon Dieu et le Diable se méfient des femmes, avec raison !

« …si y a-il un certain respect qui nous attache, et un général devoir d’humanité, non aux bestes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mesmes et aux plantes. »  Montaigne, Essais, livre II, Chapitre XII.

Montaigne, Essais, Livre II, chapitre XIX

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