CHRONIQUE 05-10

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CHRONIQUES  2010

 

CINQUIEME  SEMAINE

 

 

 

Le voyage à la capitale. La Défense des affaires. La restauration parisienne. Les soldes des Grands Magasins. La modernité de la restauration en province.

 

 

 

Où va l’Homme ? On peut se le demander. Nous nous le demandons. Il va à Paris, par le train, celui de six heures deux. L’Auvergnat va à Paris. Le Limousin, le Japonais, le Moldave, le Bas-Breton, l’Hottentot, le Flamand, tous sont venus, viennent ou viendront à Paris. On monte à Paris à pied, à cheval, en coche d’eau, en T.G.V., en avion, en deuxième classe, en grandes pompes. Tous les moyens de locomotion imaginables ont été utilisés, le drakkar, le tank, l’hydroptère, la voie hiérarchique même puisque le sommet de toutes les pyramides est à Paris. En procession, en bandes organisées, en débandade. Paris gère tant bien que mal cet afflux ; des puits qu’on dirait sans fond aboutissant à des galeries souterraines sont censés absorber ces trop-pleins. Des hordes s’y précipitent, s’y enfournent sans interruption, mais c’est peine perdue, le flot ressort plus loin. C’est un maelstrom  monstrueux permanent.[1]

L’Homme va à Paris pour affaires. Entre le cimetière de Puteaux et la sculpture commémorant la défense de Paris, en 1870[2], on a construit des tours, en fait de grandes boites, pour ranger toutes ces affaires. Le soleil s’amuse beaucoup avec toutes leurs surfaces vitrées et les nuages se répondent, d’un immeuble à l’autre. On ne voit plus les dactylos d’autrefois, l’armée des filles en pool, leurs chefs à moustache[3], les secrétaires de direction qui recueillaient précieusement la parole des grands patrons et la transcrivaient en gribouillis, qu’elles seules pouvaient déchiffrer, sur des carnets à spirale, elles qui innovaient avec leurs machines à boule et montraient leurs genoux. Les grands patrons sont invisibles, eux aussi. Ils quittent leurs bureaux par les entrailles de la terre et doivent émerger directement dans leurs paradis fiscaux, au soleil. On a prévu pour eux  des moyens de détente car leurs actions grimpent et descendent aussi vite que leurs ascenseurs. Ils peuvent se déstresser sur le manège de chevaux de bois, copie d’époque, installé à l’entrée de l’ancien CNIT, ou faire des pieds de nez à l’œuvre de Juan Miró qui les nargue en face. Le parvis de La Défense est un lieu hautement symbolique. A l’entrée, la statue commémorative défend maintenant la ville de la spéculation, des affaires douteuses et des profits illicites et scandaleux. Le cimetière, à l’ouest, est prêt à accueillir les illusions défuntes. Quant à César, il crie « pouce »  pour abandonner cette partie d’affaires où les dés sont pipés pour le commun des mortels.

 

L’Homme va à Paris pour manger. Chez Fauchon, au comptoir, en sous-sol. Au deuxième étage de la Tour Eiffel ou au sommet d’une tour de la Défense, mais là l’addition prend de la hauteur. Dans le restaurant du musée, où des gens bien comme il faut, souvent des bataillons de retraitées de la Fonction publique, dissertent de tableaux de maîtres devant des blanquettes de veau. Ou dans un de ces milliers de restaurants à nappes à carreaux, où l’on s’entasse, où l’on n’ose pas demander les vécés de peur de déranger - et on dérangerait, où l’on mange dans l’assiette du voisin, au courant d’air de la porte, où votre chapeau, votre sac à main, vos pieds sont allègrement piétinés, mais où le jambon d’Auvergne vient d’Auvergne, l’aligot, de Laguiole, le confit, du Périgord, la purée, de pommes de terre, le tout préparé dans une cuisine souterraine dont les effluves embaument la minuscule salle et s’élèvent jusqu’à l’entresol. La décoration est sobrement haute-auvergnate : vaches Salers, Plomb du Cantal, Puy Mary, gentianes. On participe à la conversation de ses voisins si l’on entend quelque peu le russe, le japonais du nord, le mandarin, le swahili, le texan, le volapuk, le javanais, le napolitain, quelques unes des langues sémitiques et le langage des signes. On en sort repus de bruit et d’odeurs, en finissant de s’habiller sur le trottoir. Les lumières de la Ville  éblouissent, déconcertent et désorientent un moment. On rejoint tard l’hôtel où, dans le hall, somnolent un  jeune homme boutonneux  et le chat de la maison. Ils daignent entre ouvrir un œil pour vous saluer et vous donner votre clef.

 

L’Homme va à Paris pour faire les soldes. La Femme surtout, et l’Homme regrette la toujours scandaleuse absence de sièges dans les Grands Magasins. Les Temples, dans sa jeunesse étaient équipés de chaises paillées ou de bancs certes austères, à défaut, de miséricordes. Il est vrai qu’on y adorait un autre dieu que celui de la Consommation.

 

Il faut rejoindre sa province, un jour ou l’autre. L’Homme la trouve alors bien éteinte et bien peu exotique. Le train du progrès et de la modernité y est pourtant en marche. Dans la restauration[4]. Nous apprenons que le convoyeur[5] de plats va refaire son apparition[6], couplé à l’informatique et aux codes-barres. Devant vos yeux ébahis, votre cassoulet vous arrivera tout chaud, ou plutôt tout réchauffé dans un tunnel de plus de quatre mètres de long, chargé à la fourche. On vous conseille évidemment de vérifier préalablement soigneusement le code que vous avez tapé si vous avez une aversion définitive pour les rognons à la ficelle et une prédilection exclusive pour le cassoulet. Les puristes regretteront les serveuses à l’ancienne, leur tablier noué dans le dos et leurs bas à coutures, les serveurs virevoltant entre les tables en portant quatre assiettes  sur un seul bras, la commande griffonnée sur le coin de la table et le chef, en fin de service, venant siroter son digestif avec les habitués de la maison. Les reliefs de repas et les couverts sales rejoindront le lave-vaisselle par le même véhicule, et, espérons-le par un autre chemin.

 

On voit par là que nous n’avons rien à envier à la capitale. Et que nous allons vers des Temps  Modernes.

 

 



[1]«  Paris est un maelstrom où tout se perd, et tout disparaît dans ce nombril du monde comme dans le nombril de la mer (...). »Victor Hugo, Les Misérables

[2] Un soldat blessé protège la population  au pied de l’allégorie de la Ville de Paris, femme debout, sabre à la main,  face à l’ennemi..

[3]Responsable de pool ! Quel beau métier ! Un jour, nous parlerons des chefs.

[4] Cf. Le Populaire du Centre du 07/02/2010, page 7.

[5] Tout le monde connait le convoyeur, c’est l’engin qui facilite l’évacuation du fumier, à l’arrière de l’étable.

[6] Les anciens n’ont pas oublié le tapis roulant du salon de thé qui, au dernier étage des Nouvelles Galeries, faisait la joie des enfants, lorsqu’ils voyaient le gâteau commandé sortir solennellement du tunnel.

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