CHRONIQUE 04-10

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CHRONIQUES  2010

 

QUATRIEME  SEMAINE

L’attente et la tante. La retraite chapeau et la casquette prolo. Vialatte visionnaire. L’inhumation moderne. Margerit visionnaire. La culture télévisuelle. Grandeur consécutive d’Allah.

 

 

 Depuis bien avant le début du Temps, l’Homme attend. Déjà, dans sa caverne, l’Homme de Neandertal attendait[1] : le lever du soleil, le retour des beaux jours, la venue de la très vieille cousine Lucy[2], le passage du facteur ou des nouvelles de l’Homo sapiens que l’on savait en route. Et puis, en vrac et en désordre, on a attendu le Messie, la nouvelle lune, la pluie, les congés payés, sa femme, la quille, le retour des prisonniers, le plombier, la paie, la distribution du lait en poudre, l’abolition de l’esclavage, les résultats des examens médicaux et du tiercé, la relève, l’arrivée des secours, le début et la fin, la libération de la femme, l’an 2000, la chute de l’Empire, l’eau au robinet, la découverte de l’Amérique, le lave-linge, l’énoncé du verdict, la Civilisation. Et on a attendu que ça passe.

L’Homme d’Alexandre Vialatte attend l’autobus 21, au coin de la rue de la Glacière, « On le reconnait à son parapluie noir, son pardessus de couleur foncée », ou alors, c’est « un animal à chapeau mou » qui attend le même autobus. Nous nous sommes longtemps interrogés sur ce parapluie et ce chapeau. La réponse est arrivée alors que nous-mêmes attendions le trolley de la ligne numéro 2, à l’angle de la rue Clément Marot et de l’avenue du Général Leclerc[3], équipé d’un parapluie et coiffé d’un chapeau. Le parapluie, parce que l’homme espère la pluie. (En Limousin, elle n’est jamais bien loin) et craint que le ciel lui tombe sur la tête. Mais le chapeau ? La réponse nous est donnée par l’actualité, Alexandre Vialatte était un visionnaire. L’Homme attend la retraite, et certains, leur  « retraite chapeau ». Le capitaine d’industrie pour ne pas avoir à tendre le chapeau à la porte des églises, le jour de la retraite venue, se fait voter par son conseil d’administration un confortable pécule. L’homme à casquette, le prolétaire que l’on voit en photo à la sortie des usines Michelin se précipiter en foule vers son bus qui l’emmènera vers une cité d’une lointaine banlieue, bénéficiera, lui, après en avoir bavé des ronds de chapeau, d’une modeste pension qu’il complètera de ses espoirs de gain au loto ou au P.M.U., des légumes de son lopin de jardin, des raisins de sa vigne, de quelques bricoles au noir, et des ménages de son épouse. A défaut, il aura toujours les secours populaire et catholique, et depuis peu, les restos du cœur.

On apprend par ailleurs que notre grand patron aurait une double casquette. L’entendement est dépassé. Serait-ce une grosse tête[4], ou un de ces jongleurs que l’on voit à la télé jouant avec des couvre-chefs sur un air entraînant ? En fait, il veut créer une synergie entre E.D .F. et Véolia. C’est homme est courageux, ou inconscient. Véolia, c’est l’ancienne Compagnie générale des eaux. Au lieu de le vilipender, tirons-lui notre chapeau. Rapprocher l’eau et l’électricité ! Il devrait demander conseil à Claude François.

 

« En général, (l’homme) attend de vivre, c’est une chose qui dure toute sa vie, et ensuite on l’enterre au trot ».[5]Un lecteur du Populaire du Centre s’élève contre la rapidité de l’inhumation et la célérité des employés municipaux qui n’attendraient pas que vous ayez le dos tourné pour commencer leur besogne. Vialatte l’avait prédit, le rendement, encore le rendement, tue la convivialité. Qui a-t-il de plus convivial que des obsèques. On se retrouve entre copains, on évoque les bons vieux souvenirs, le défunt est toujours vivant. Il se réjouit, il participe. Mais, tout à trac, le bruit de la pelleteuse casse l’ambiance et vous fait fuir. Chacun part de son côté, dans la froide humidité de circonstance, laissant le défunt définitivement mort.

 

La lecture du livre de Patrick Glémas s’impose. Il s’intitule : « Baignades et bassins naturels »[6] Il traite des piscines naturelles, biologiques, cent pour cent écologiques, sans chlore ni produits chimiques et où l’eau est pourtant saine et hygiénique. Avec des joncs, des nénuphars, des renoncules et des iris. Aussi des grenouilles, des gerris et des hydromètres qui patinent à la surface. Robert Margerit et la salamandre Ernestine avaient déjà cette merveille, à Thias, à deux pas de leur maison. Elle suffisait, à moindre frais, à leur bonheur. « L’eau fuit doucement ; sa caresse glisse tout au long du corps, tandis qu’on nage avec lenteur, sans bruit. On se couche sur le dos, la tête renversée, les bras ouverts ; on se laisse porter en battant à peine des pieds et des paumes. Bonheur de l’âme autant que de la chair. Béatitude. »[7]

 

Philippe Bouvard qui a déjà publié plus de vingt titres, dont : «  Le meilleur des grosses têtes, 20 ans de grosses têtes, Riez avec les grosses têtes, Le grand Livre des grosses têtes », vient d’écrire Je suis mort, et alors ?[8] Il a donc eu droit un dimanche, après-midi et soirée, à une émission de télévision, avec l’animateur vedette. Albert Camus n’a rien publié depuis quelque temps. Il a eu tort. Pourtant, il a  bénéficié d’une émission, lui aussi, sans doute parce qu’on envisage  de le loger au Panthéon. À une heure et quelques du matin. Son agent se désintéresse de sa carrière et n’a pas protesté

 

Et c’est ainsi qu’Allah est grand.

 

 

 



[1] Il avait été précédé par l’Emmental,

   EMMENTHAL, ou EMMENTAL  n.m. Préhist.

L’Emmental, découvert dans la vallée de l’Emme, canton de Berne, a précédé le Neandertal dans sa lente migration vers l’Ouest. Il a été démontré qu’il était une espèce indépendante, du genre Homo, dont on trouve des traces en Amérique du Nord, notamment dans les Big Cheese de Mac Do. Certains paléontologues pensent qu’il aurait maitrisé le feu : traces de fondue dans des habitats ?

« Yves Coppens, lors du dernier colloque au Collège de France, a fait tout un fromage de son Emmental, un exposé sur le fil assez indigeste qui me serait resté sur l’estomac sans le verre de génépi que je me suis envoyé en suisse à la buvette, dès la sortie. » J.P. Coffe, La cuisine de Lucy, Cro Magnon Edit.

 

 

2 Et non Lucie, la tante d’Alexandre Vialatte, la tante  merveilleuse aux magnifiques chapeaux. Celle à qui les Autorités avaient décerné, bien que tardivement, les Palmes académiques, pour services rendus à l’enseignement de la musique.

[3] Précisons qu’un trolley est un véhicule de transport en commun, issu du croisement d’un autobus et d’un tramway. Il serait stérile.

[4] Cf. infra

[5] Alexandre Vialatte, Les champignons du Détroit de Behring.

[6] Collection Larousse tendance.

[7] Singulier-pluriel, inédit de Robert Margerit, ensemble de textes présentés par Jean Vergnaud, in Cahiers Robert Margerit, no XIII, décembre 2009.

[8] Editions Flammarion, novembre 2009

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