CHRONIQUE 08-10

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CHRONIQUES  2010

 

HUITIEME  SEMAINE

 

 

Du commencement de la faim. De la faim. De la fin de la faim. Du  danger de se nourrir.  La chance des affamés.

 

 

Dans nos vieux pays qui seraient développés, l’Homme a longtemps eu faim. Dès sa naissance, il a crié un bon coup, et il a eu faim. L’Auvergnat se souvient encore du rationnement et des cartes d’alimentation, du casse-tête avec les couleurs des tickets. Et du marché noir. Il a connu la quête incessante de nourriture de ceux qui n’avaient rien à troquer, les queues interminables, les succédanés ou erzats[1] et l’inventivité des mères pour faire bouillir la marmite. Le rutabaga était en vente libre, nous en fîmes des cures, accompagnées de pain de maïs avec farines de fèves, d’orge, brisures de riz, poussière sans doute. On se rappelle  les distributions de biscuits vitaminés et de lait aux enfants des écoles, en rang devant la marmite bouillante à l’odeur écœurante, le quart à la main, avec, d’office, la grande cuillérée d’huile de foie de morue à avaler cul sec[2], et le copain qui en redemandait. Il paraissait s’en délecter. Il a fait carrière en politique.  

Dans beaucoup de familles, la faim était héréditaire et on n’avait pas attendu la guerre pour avoir faim. Depuis des générations, on partait dès avant le lever du jour pour aller gagner chichement, disait-on alors, son pain. Il fallait se nourrir et assurer la survie de sa famille. Pour assurer sa subsistance, l’ouvrier avait l’usine. Le paysan, plus avantagé si les éléments étaient favorables, avait le cochon, le roi cochon. Lorsque la bête avait été abattue, dépecée, préparée, il n’en restait rien, tout était utilisé, du groin à la queue. Seuls ses cris s’étaient perdus. Ils résonneraient longtemps en écho sur les murs de la grange. On peut maintenant les recueillir, grâce au Progrès et au magnétophone. Par le moyen de l’informatique, d’aucuns les gravent sur des C.D. C’est du Suzan Boyle[3].

Depuis son apparition sur terre, l’Homme mangeait pour vivre. Et souvent il mourait de faim. Le Progrès aidant, dans notre petit coin, cette question de la faim est grandement résolue. La nourriture est abondante, la naturelle et l’industrielle. Et maintenant l’Homme mange trop. Il en est malade. Il a peur de mourir malade et il meurt de trop ou mal manger. Il voudrait mourir en bonne santé, et même ne pas mourir du tout.

Rassurons-nous, les Gourous veillent. Ecoutons leurs conseils[4] pour prévenir nos maladies. Mangeons du chou, de l’oignon, de l’ail, des tomates, bonnes pour la prostate, des féculents, des pois chiches, assaisonnés de curcuma, de centella (les éléphants d’Asie s’en délectent, c’est dire que c’est excellent pour la mémoire), de calament, de maca, cultivé à 4000 mètres d’altitude, au Pérou[5]. Mangeons, en principe, des aliments exotiques, souvent issus de la pharmacopée locale, aussi des légumes secs, des fayots, et des omégas 3[6]. L’oméga 3 se cultive dans le maquereau et le hareng[7]. Le poisson doit être gras et la viande maigre. Pour préserver la mémoire, éviter de consommer de la charcuterie.[8] Le cochon commence à se faire du mauvais sang et c’est mauvais pour le boudin. Soyons à la mode : maintenant, il faudrait éviter le soja. Heureusement que cette pratique asiatique de boire du lait qui n’est pas du lait et de manger du fromage « toufou » n’avait pas encore atteint l’Auvergne. Suivez les recettes de ces nouveaux Brillat-Savarin. Vous préviendrez l’obésité, le diabète et le cholestérol, les maladies cardiaques, la fatigue, les pannes sexuelles, la bronchite, la déprime, que sais-je, la H1N1, la pépie, l’énurésie et plus, si affinités, et surtout le cancer. Le cancer aussi est d’actualité ; pour s’en prévenir, rien ne vaut le thé vert. Méfions-nous du cancer : « un homme sur quatre aura un cancer dans sa vie »[9]. Heureusement nous n’avons qu’une vie, sinon ce serait une catastrophe. En l’attendant, cuisinons méditerranéen, indien ou asiatique. Adieu veaux, vaches, cochons, couvées et canards gras.

Consolons-nous : selon le dernier rapport de la F.A.O., plus d’un milliard de personnes souffrent de sous-alimentation dans le monde, soit un sixième de la population mondiale. Dans les pays développés, quinze millions ont faim. Ils mourront de faim, mais on leur aura évité nos problèmes nutritionnels. Nous en seront-ils reconnaissants ?

 

Ecoutons Carlo Goldoni : « L’Amour, c’est le meilleur des menus »[10] Nous nous en porterons bien, « et à peu de frais » ajoutera l’Auvergnat.

  



 [1]ERSATZ  (von Kartofen)

Célèbre illusionniste allemand, a eu un grand succès d’années 1940-45, et a réussi à nous faire prendre la margarine pour du beurre, la chicorée pour du café, la saccharine pour du sucre, le bois pour du cuir, des herbes sèches pour du tabac et à nous faire manger les topinambours que nous donnions jusqu’alors à nos vaches. A même essayé de nous faire prendre le « Maréchal nous voilà » pour la Marseillaise.

[2] Considérant la taille de la morue, nous nous interrogions, déjà curieux, sur la provenance réelle de cette huile miraculeuse et si abondante.

[3] « I Dreamed a Dream », 7138000 albums vendus!  N’hésitez pas à l’écouter au bord du marigot, c’est souverain contre les moustiques … et les caïmans.

[4] On n’est pas encore obligé de les suivre.

[5] Le maca serait aphrodisiaque, selon ceux qui le vendent. Les déjections de lama favorisent grandement le développement du maca, sur les hauts plateaux andins.

[6] Il existe aussi quelque part des omégas 6 ! Surveillez le rapport oméga 3 / oméga 6

[7] « Les harengs, c’est bon pour les artères … Les japonais qui se nourrissent de harengs, ont moins de maladies de cœur. » Henri Cueco, Dialogue avec mon jardinier.

[8] Si vous ne savez plus où vous avez mis le jambon sec, la saucisse sèche ou les tripoux, consultez de toute urgence. Aloïs s’est installé chez vous.

[9] C’est David Servan-Schreiber qui l’écrit. Il a déjà eu le sien, au cerveau, sans séquelles, nous affirme-t-il, aux Editions Robert Laffont. Anti cancer. Les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l’esprit..

« La vie ne s’use que si l’on cancer »  Proverbe oncologique.

[10] Arlequin, valet de deux maîtres.

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