CHRONIQUE 38-10

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CHRONIQUES 2010

 

TRENTE-HUITIEME SEMAINE

 

 

Voyons Paris de plus près. La Capitale. Sa faune. Sa beauté unique. Ses Parisiens et leurs oiseaux. Chasse au tigre. Modernité des temps.

 

  Sur le quai de la gare, en ce petit matin pas encore bien réveillé, l’Homme attend son train, entre les repères W et X, un  bagage léger à la main. La journée s’annonce belle et il regrette déjà d’avoir suivi les conseils de son épouse. Il sent bien que ce parapluie qu’elle lui a imposé va lui encombrer les bras, et l’esprit, car il n’est pas envisageable qu’il l’égare.

 Il n’est pas seul sur ce quai. Tout le monde monte à Paris. Tout le monde est monté, monte ou montera à Paris. Tout le Monde, le Monde entier. Paris est la capitale du Monde. Pas seulement capitale de l’Auvergne et des Auvergnats, Clermont-Ferrand n’est que la capitale du pneu, Thiers, de la coutellerie, Lezoux, de la poterie sigillée, (je vous parle de vieux), Aurillac, du parapluie [1], mais également de la Bretagne, du Rouergue, de la Corse, de la Savoie, de toutes les provinces de France, y compris la Pologne, la Russie blanche, le Portugal, le Limousin, la Catalogne, l’Arménie. La capitale de tous les réfugiés, là, je vous parle de très vieux, réfugiés de toutes espèces qui se sont expatriés pour fuir l’oppression, la guerre, la faim, le marxisme et l’antimarxisme, le mac carthysme, les pogroms, les razzias. Des jaunes, des cuivrés, des blancs, des noirs de toutes teintes, des descendants de noirs marrons, des macaronis, des ritals, des moldaves, des lusitaniens, des afars, et des issas, aussi des persans, des antipodistes, des lombards, des ch’tis, des tchétchènes, des allobroges, des wallons, des chinetoques et des niakoués. Des pollaks aussi. Paris qui a tout dévoré, qui s’est nourri de ces pauvres bougres qui se sont échinés à le construire et à l’embellir.

Il est bon de se promener dans Paris en pensant à eux, les maçons de la Creuse et d’ailleurs, les gamins qui escaladaient les échafaudages avec leur charge de briques sur l’épaule, les petits savoyards, les paveurs et leur dame au cœur de fonte, les employés des bougnats qui livraient les sacs de charbon dans les étages, par la raideur des escaliers, dans la poussière collante qui s’infiltrait dans les poumons et colmatait les pores de la peau. Et leurs filles et femmes nettoyant et cirant les parquets à quatre pattes, les bonnes à tout faire. Et de se souvenir de ces logements vétustes, l’eau sur le palier, les vécés en bas, dans la cour, par l’escalier sans lumière, poisseux d’humidité, la minuscule cuisine, large comme un couloir, qui servait de salle de bains. Et le petit qui s’essayait à faire ses devoirs sur un coin de la table toujours encombrée.

C’est que Paris en a logé du monde, et du beau. Levez la tête, lisez les plaques apposées en façade : ici ont vécu Blaise Pascal, Apollinaire, Franklin[2], les quatre sergents de La Rochelle, Dalida, Rodin, Zadkine, Aragon, Sartre, Ho Chi Min, Lao Tseu, entre autres, toute le famille de Dieu, mais on ne sait plus où ils créchaient. Tous les poètes, les écrivains, les artistes, ceux qui ont compté un jour et que l’on a oubliés. Et tant d’autres qui nous sont chers.

Et ils ont fait de Paris la plus belle et la plus intelligente ville au monde. Avec la Tour Eiffel, magnifique dans son inutilité de ferraille, et des avenues, et des perspectives à nulles autres pareilles. Du pavillon Sully, au Louvre, au 1er ou 2ème étage, vous avez en enfilade la pyramide de Peï et ses jets d’eau[3], l’arc de triomphe du Carrousel, l’Obélisque de la place de la Concorde, l’Arc de Triomphe, la Grande Arche de la Défense, et si le temps est clair et si l’heure s’y prête, le coucher du soleil sur l’Océan, tout là-bas. A côté de vous, un Corot. Qui dit mieux ? Avec la Seine, 37 ponts ou passerelles, tous chantés, tous aimés et ses chalands qui passent et les bateaux de Monsieur Mouche, et des musées, plus de 150 dont le Louvre, qui est venu à bout d’Abi et la Pinacothèque qui  expose actuellement l’Or des Incas, des poteries de même origine de toute beauté et en finale, une mystérieuse momie, recroquevillée sur elle-même, dont le regard vous interroge, dans la pénombre.

C’est dire le nombre et la variété de touristes que l’on rencontre, et de parisiens. Le Parisien a des mœurs qui étonnent le Provincial. Il couche avec son vélo, ou l’expose sur son balcon. Il le traite comme son animal familier, d’ailleurs, à l’entrée de la mairie du treizième arrondissement, un écriteau précise que l’accès du hall est interdit aux chiens et aux bicyclettes, à cause des déjections sans doute. Le Parisien, et c’est là son génie, a appris à lire aux oiseaux.[4] Vous vous installez à la terrasse d’un café, avec un petit noir et son inévitable spéculos, vous dépliez votre journal. Immédiatement un moineau vient en lire les gros titres, tête penchée. De l’œil droit, le gauche lorgnant les miettes. Sa curiosité satisfaite, aussi son appétit, il volète vers votre voisin et sa revue coquine, l’œil émoustillé. Vous prenez place au Luxembourg, non loin de la statue de Leconte de l’Isle[5] qui y eut un appartement de fonction en sa qualité de conservateur adjoint à la bibliothèque du Sénat.  Avec votre sandwich Fauchon acquis à grand prix, une folie[6], emballé dans le sac papier Fauchon bien visible et en grosses lettres, pour le prix ! Dans la seconde qui suit c’est une nuée de pigeons qui se précipitent, se bousculent, se piétinent. La plus petite miette est âprement disputée. Renouvelez l’expérience avec un emballage Mac Do, si facilement reconnaissable. Trois malheureux éclopés estropiés  viendront, après une éternité, vous tenir compagnie. De surcroit, ils chipoteront, à regret, et avec une moue dédaigneuse[7], les énormes débris qui dégoulineront à vos pieds et que vous leur abandonnerez généreusement.

Après un aller-retour précipité à la Pinacothèque où vous aviez malencontreusement oublié votre parapluie, le spectacle de la momie vous ayant fortement impressionné, il faudra reprendre le train du soir, bien content de vous asseoir enfin. Vous trouverez la pluie en arrivant à Limoges.[8]

Et vous vous poserez une fois de plus la question : pourquoi la grande masse des  Parisiens décide-t-elle toujours de prendre le métro en même temps que vous, à la même station, dans la même direction ? Et quelle idée d’aller visiter la même exposition que vous, le même jour, à la même heure ?

Le journal, du soir à Paris, du lendemain chez vous, vous apprendra que le moustique-tigre est arrivé sur la Côte d’Azur, en avion, depuis la Réunion. Surveillons nos eaux stagnantes. Gare au chikungunya.

 

Nous vivons des Temps modernes.

 



[1] Justement, où est le mien ?

[2] C’est bon, je l'ai toujours, ce sacré parapluie.

[3] Mon parapluie ? Pas d’affolement, je l’ai déposé au vestiaire.

[4] Qui se souvient de Mimi Pinson ?

[5]Pour filer vers son Parnasse, il essaie en vain de s’échapper des bras d’une muse qui l’enserre étroitement.

[6] Mais comment résister quand Fauchon expose en vitrine du saint-nectaire fermier au lait cru, du comté et un sein gaperon !

[7] Il faut savoir observer les pigeons.

[8] Elle avait donc finalement raison !

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