DECEMBRE 2011

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Décembre 2011

 

CHRONIQUE AUSTERE

 

 

Ce mois de décembre a été placé sous un double signe.

D’abord  le signe du blanc, en avance sur janvier. Début décembre, marche blanche. Vous l’avez déjà oublié ce petitou dont la turbulence irritait le père, martyrisé dans le tambour du lave-linge familial. On a défilé en sa mémoire, une foule tout[1] émue, bien serrée pour conjurer l’horreur, révoltée par cette barbarie. Et on s’est souvenu des petiots trouvés dans les réfrigérateurs, les congélateurs, les sacs poubelles et les dépôts d’ordures, noyés dans les étangs, les rivières, les puits. De ceux tués, à petit feu, par des travaux surhumains dans les mines, dans des ateliers et usines, tués de faim aussi. Ou à grand feu, enfants-soldats sans âme, privés d’enfance et d’innocence, bonnes gens.

En fin de mois, blanc aussi. La neige est arrivée en montagne. Il était temps, les stations craignaient le pire. Imaginez des vacances à la neige sans neige ! Comment les skieurs auraient-ils dépensé leurs économies ? Que faire à la montagne en après skis,  sans ski. Pas de queues aux tire-fesses : d’aucuns auraient déclaré forfait. Un comble, on serait revenu sans être hâlé, sans avoir  ces hublots blanchâtres autour des yeux, à quoi on reconnait le vrai pisteur de noires, de pistes noires s’entend.

Nos chefs aussi ont repris leurs ascensions des Sommets. Cette fois ils ont frôlé les précipices, il a fallu qu’ils se ré-encordent plus solidement. Apparemment, l’Allemagne était première de cordée. L’Anglais a abandonné la partie, son pied marin n’est pas montagnard, osons le dire. En matière d’escalade pourtant qui ne se souvient des pionniers anglais, Edward Whymper, vainqueur de la Barre des Ecrins, de l’Aiguille verte et premier au  Cervin, Horace Walker dont une pointe des Grandes Jorasses porte le nom, et  sa sœur Lucie, première femme à avoir vaincu le Cervin et l’Eiger ?

 

Et l’on nous a reparlé d’austérité, pour nous placer sous son signe. Ce n’est pas l’austérité qui gêne l’Auvergnat. Il la connait bien et l’a toujours pratiquée. Il l’a sous les yeux chaque jour. Voyez ces vierges noires romanes, des femmes rudes, solidement charpentées. Elles tiennent l’enfant Jésus d’une main ferme, bien serré dans leur giron. Des mains habituées aux travaux des champs, des mains larges comme des battoirs. Elles présentent l’Enfant à la populace, sans émotion apparente, d’un regard qui va bien au-delà de vous, où perce parfois une tristesse. On comprend qu’elles savent déjà ce que l’Homme fera de cet enfant, plus tard.  Elles ne sont guère maternelles, austères qu’elles sont, conscientes de l’importance de leur don. Il faudra la Renaissance pour voir des mères sourire et materner leur enfant, comme la Vierge du Marthuret à Riom. Et qu’elles sont austères aussi ces églises et cathédrales de lave et ces planèzes enneigées déja sous un brouillard glacé et cette plaine de Limagne et son loess gras rendu  d’un noir plus profond encore par l’humidité de cette fin d’automne. Et il se souvient des femmes de sa jeunesse, les veuves de 14-18, toujours en noir, et les autres, en noir également, orphelines, ou portant le deuil d’un oncle, d’un frère, de leur vie de femme. Il a connu l’austérité des difficiles fins de mois, l’austérité des fêtes, dans ce pays où les riches ne sont que des pauvres moins pauvres. Et l’austérité de la grand’mère calviniste, « raide comme la justice de Berne ». Et même l’austérité de la Caisse d’Epargne de sa petite ville, où l’argent reposait sans bruit, dans un silence religieux, troublé de temps en temps par un cliquetis de clef de salle des coffres ou un chuchotis derrière un guichet-confessionnal. Et l’austérité des mœurs. C’est assez dire que l’austérité et la rigueur, il en fait son affaire.

Mais il voudrait bien comprendre. Il a vécu fort longtemps sans se soucier des agences de notation[2], il ignorait tout de leur existence. Il savait bien que tout était inscrit quelque part dans le Grand Livre et il notait lui-même à sa façon  les élus et les gouvernements. En bon citoyen, il faisait savoir son mécontentement, le moment venu. Mais il était loin de se douter que des Agents[3] notaient son pays, son gouvernement, sa banque, sa société d’assurances, que sais-je, son président de conseil général, son maire, son responsable du club bouliste, peut-être lui-même et sa façon de consommer, et qu’ils pouvaient faire et défaire les gouvernements en son lieu et place, au mépris de la démocratie.

 On lui a dit qu’il fallait à tout prix conserver le triple A (AAA), d’où l’austérité et la rigueur. Au troisième plan, rien n’y a fait, le triple A est sérieusement menacé, on parle de double A, ou de triple A moins, ou de double A plus, comme cadeau de Noël ou de début d’année. Du coup, on nous dit en haut lieu que l’on pourrait vivre sans AAA. On s’en doutait. Mais rigueur et austérité continuent de s’imposer. L’Auvergnat est d’autant plus perplexe qu’il apprend qu’un célèbre footballeur va travailler à Paris pour un salaire mirifique, tous frais payés, alors que l’on n’est même pas certain qu’il sache encore taper dans un ballon.

 

Pendant ce temps la vie va son train. A la suite d’un big-bang de la SNCF, les trains sont maintenant « cadencés ». Ce qui est un grand progrès nous a-t-on dit. En effet. Cherchez Limoges-Poitiers sur le site adéquat. Un ordinateur vous proposera, entre autres, un voyage via Châteauroux, puis bus, en 3heures 39, ou par Vierzon-Tours en 4heures 46, ou via Angoulême en 3heures 13. Aussi directement, mais avec arrêt au Dorat, en 2heures 18. Prenons le train en cadence et plaignons l’ordinateur abracadantesque de la SNCF.

Arrivent Noël et les cadeaux. Achetons les jouets de production française. Votre porte-monnaie s’en portera mieux et vos petits enfants apprécieront, soyez-en certain le cheval à bascule, les toupies en bois, les puzzles de même métal, les crécelles et les billes en terre. Et vous ferez grande économie de piles, notamment les AAA[4].

 

Vaclav Havel nous a quittés. Il s’était élevé contre un régime qui érigeait la peur en mode de gouvernement, qui asservissait politiquement et moralement la société et peu à peu démoralisait chacun au point de lui faire perdre tout espoir de changement, chacun devenant victime et support du système. Il avait prôné « le pouvoir des sans pouvoirs,  et la « révolution de velours » avait libéré son pays. « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le [le tyran] poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre »[5]

Dernières nouvelles :

Kim Jong-il, ou Kim Jong-II vient de décéder officiellement. Lui succède Kim Jong-Un ou Kim Jong-I[6]. Encore un peu de patience et les Coréens pourront applaudir Kim Jong-O, ou Kim Jong-0 et, enfin, plus du tout de Kim Jong. « Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finira toujours par se lever »[7]

La veille de Noël, une trainée lumineuse est apparue dans le ciel en fin de journée. Les Rois mages ne se sont pas laisser abuser et leurs chameaux n’ont pas levé le sabot. Dans leur grande sagesse, ils savaient qu’il s’agissait de la retombée des débris d’une fusée Soyouz. D’ailleurs il y a bien longtemps qu’ils ne récoltent plus la myrrhe et l’encens. Mais l’or reste une valeur sûre, le noir surtout.

Cuisinez vos citrouilles, elles vous donneront d’excellentes soupes de potiron. Par ces fraîcheurs, faites de la soupe de gaudes. Une bonne écuellée bien chaude arrosée de lait froid vous tiendra l’estomac en repos toute la matinée. Et vous vous souviendrez toute votre vie de la saveur de cette bouillie de farine de maïs grillée avec son lait crémeux.

 

P.S. à la chronique de novembre : l’Auvergne doit également à la Grèce la saucisse de choux dont la recette aurait été rapportée par des colporteurs d’Arconsat,[8] dans les années 1850-80.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Accord de tout, adverbe. C’est un coup de Vaugelas et de l’Académie qui voulaient faire leurs malins. Mesdames, attention, pas de méprise, Ecrire à son chef, pour les vœux : « je suis tout à vous », ce n’est pas  écrire : « je suis toute à vous ». En cas d’hésitation, ne pas  envoyer vos vœux.

[2] L’agence Standard and Poor’s me paraît fort bien porter son nom, pour les poors surtout.

[3] Mais que sont devenus l’agent voyer, l’agent de la circulation, l’agent de recouvrement, l’agent du Trésor ?

[4] Aussi les AA, mais ne confondez pas avec la notation.

[5] Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire.

[6] Il devrait nous donner l’adresse de son coiffeur !

[7] Proverbe kabyle.

 [8]Cf.  montoncel.com

Publié dans Chroniques

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